En Celtie (III) : oui, les Dubliners existent vraiment
Par un effet curieux du hasard, je n’avais jamais vu les Dubliners. Les Chieftains, oui. Les Pogues, oui. U2, oui. Toutes les légendes irlandaises, donc, mais jamais les Dubliners. Et pourtant, ce n’est pas faute de fréquenter les festivals bretons. Mais, pour je ne sais quelles raisons, je ne les avais jamais vu sur scène malgré l’impression, comme tout le monde, de connaitre par cœur tout leur répertoire. Et voilà, c’est fait : samedi à Lorient, sous le chapiteau posé dans la cour du vieil Arsenal, ces cinq messieurs chenus.
Un violon, deux banjos, deux guitares, cinq barbes blanches. Toutes les chansons sentent la vieille auberge, les quais de la marine à voile et le fusil à deux coups. Il est question de vieux copains qui doivent être morts depuis belle lurette, de syndicats qui tiennent chaud, de fierté mâle, de filles du pays. Curieusement, je me demande un peu comment y croire : il y a si loin de leur monde au nôtre, tant de distance entre leur musique et notre temps. Peut-être est-ce justement parce leur musique est si familière, si évidente en tous points, que j’ai peine à l’agréger au moment présent.
Je ne pointe pas là seulement le passage du temps sur ces visages si généreusement sympathiques et sur des chansons qui garderont éternellement le même charme de fraternité, d’enjouement et de gaillarde mélancolie. Le hiatus est plus complexe, je crois. En fait, c’est précisément l’accumulation de signes mythiques, légendaires, merveilleux, qui les éloigne du réel : les instruments, le répertoire, les trognes, tout est si conforme à l’imagerie – et sans rupture, sans ajout hétérogène dans cette conformité – que l’on semble tout franchement dans une sorte de décor, de simulacre, de trompe-l’œil. Ces Dubliners-là sont tellement les Dubliners, si parfaitement les Dubliners que l’on pourrait croire à des comédiens dans le rôle des Dubliners.
C’est un peu tordu, j’en conviens. Mais il y a finalement très, très, très peu de groupes et d’artistes qui se superposent parfaitement à leur ombre, peu qui correspondent si profondément et si trivialement à la fois à leur légende. Peut-être est-ce cela qui suscite le doute quand on les voit ainsi, porteurs de toutes les valeurs aimées de la musique populaire irlandaise.
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