En Celtie (V) : au pays des guises
Le dimanche à l’Interceltique, il y a le spectacle Danses de Bretagne dans l’après-midi du dimanche. S’il fait soleil après la Parade, cela fait quelques heures que tout le monde est en costume, marche, danse, tue le temps en papotant et donc tue transpire sous quelques kilos de tissus épais. Donc, les danseurs des Cercles attaquent une après-midi de spectacle pendant que leurs camarades des bagadou boivent des coups en attendant le Triomphe des sonneurs (ça défile moins ordonné, moins rigide, moins sobre que le matin). Je suis toujours attendri par ces hordes de gamins aux gestes mesurés, au verbe souvent très doux, comme s’ils étaient tenus par leurs costumes.
Il est vrai que les guises sont magnifiques, avec leurs kilomètres de broderies et les coiffes de dentelle. Elles signifient bien autre chose qu’une nostalgie, ai-je l’impression. Il y a comme une sociabilité au présent, comme une nécessité immédiate à tout cela : les garçons ont un comportement surprenant, à la fois fanfaron et retenu ; les filles semblent habiter un halo de dignité et de grâce, portant leur guise comme si elles n’étaient pas tout à fait elles-mêmes. Il faut les voir déposer leur corps sur des chaises ou sur un bord de trottoir, comme on pose une pièce montée sur une table de banquet, avec une simplicité mêlée de solennité.
Pendant que danse le cercle de Saint-Evarzec (quelques trouées contemporaines dans la mise en scène et les arguments, un accordéon diatonique qui a beaucoup écouté de tango, la tension des corps qui mettent autant d’énergie et d’intention à retomber sur les talons qu’à s’élever du sol), quelques bigoudènes du cercle de Pont-l’Abbé regardent, leurs hautes coiffes comme des clochers qui tirent leur silhouette vers le haut. On s’étonne qu’elles ne soient pas plus incongrues, qu’elles ne soient plus incroyables, qu’elles ne soient pas plus décalées. C’est peut-être cela, un des miracles du pays des guises, qui n’emprisonne pas dans ses célébrations (euh, je suis peut-être un peu angélique, là ; j’entends parfois dire tout autre chose). Ces costumes ne sont pas seulement anciens : l’usage que l’on en fait aujourd’hui est ancien, avec ce qu’il comportent d’arbitraire, de délibéré, d’idéologique. Et pas seulement en Bretagne de Bretagne, d’ailleurs : le cercle d’Orléans, en diaspora, a choisi de prendre le costume de Crozon…
Alors, les galiciens avec grande cornemuse écossaise et castagnettes, l’idée géniale des premiers bagadou, il y a à peine plus de cinquante ans, de marier la bombarde avec cornemuses et batterie écossaises… Que dire du pipe band venu d’un camp palestinien du Liban ? Voile pudibond des femmes, tambours de fanfare et non caisses claires écossaises, chatoiement criard des costumes de satin synthétique. Guises ? Certes non ! La légitimité de leurs cornemuses est à peine moins flagrante qu’en Bretagne à la fin des années 40 : eux non plus qu’on jamais porté le kilt, eux aussi ont d’autres instruments à anche. Mais ils ont connu l’occupation anglaise, les prises d’armes avec sonneur. Que sera cette tradition de pipe band dans cinquante ans au Liban et/ou en Palestine ? Au même point que la grande cornemuse en Bretagne aujourd’hui, que le bouzouki en Irlande, que la scottish en Berry, que le quadrille en Guadeloupe ?
Où l’identité se fabrique-t-elle ? Peut-être en plein soleil sous une robe de toile noire. Peut-être à quelques milliers de kilomètres de chez soi en faisant remarquer que l’on joue du même instrument de musique qu’un frère – ou un cousin, ou un ami – lointain.
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